Le samedi 13 mai, nous avons eu l’opportunité de passer quasiment une journée avec l’artiste belge Edith Dekyndt.
Edyth Dekyndt échange avec des visiteurs à la Bourse de Commerce / Photo : Artman Times (AT)
Edith Dekyndt travaille sur des phénomènes au seuil du visible et de l’invisible. Développant son approche à partir d’une tradition minimaliste, elle se concentre sur des mouvements singuliers et discrets, qui sont ensuite isolés, magnifiés ou répétés. Un récit se construit autour de cette attention particulière, qui prend la forme d’un film, d’une chorégraphie ou d’une installation. Pour Edith Dekyndt, ” chaque situation agit comme le déclencheur d’un processus de “contexture”, offrant l’occasion d’un investissement sensoriel et mental dans un environnement”.
Ses gestes simples, comme son étude de la surface coulée sur le papier à travers les minéraux de la mer Morte, le nettoyage méthodique d’une statue monumentale ou la toile de soie usée jusqu’au fil par le fouet d’un cow-boy, parlent de l’humilité, du rituel. Entre mélancolie et science, ses œuvres redirigent notre attention vers des présenses subtiles de la vie quotidienne et nous invitent à méditer sur le lent processus de transformation du monde qui nous entoure.
Crédit Biographie : Livret Edith Dekyndt. Aria of Inertia, une exposition de la Collection Pinault, conçue pour la Chapelle de Laennec dans le cadre du programme Women in Motion.
Dans un premier temps, l’artiste nous a accueilli avant l’ouverture de la Bourse de Commerce autour d’un café pour la présentation de “L’origine des choses”, son travail dans les vitrines du musée. Occasion pour nous de questionner son art et de prendre quelques photos pour immortaliser ce moment.
Comme point de départ du parcours circulaire des vitrines de la Bourse de Commerce, Edith Dekyndt a placé la vidéo Ombre indigène (2014) devenue récemment emblématique et virale, où l’on découvre un drapeau fait de cheveux noirs qui a été planté au-dessus des rochers de la côte du Diamant, sur l’île de la Martinique. C’est à cet endroit précis que la nuit du 8 au 9 avril 1830, un bateau de traite clandestine transportant une centaine de captifs africains s’est échoué avant d’être totalement détruit. Filmée à proximité de la tombe du philosophe martiniquais Edouard Glissant, cette vidéo est un hommage au fondateur du concept de “tout monde” et de “créolisation”.
Ce qui retient l’attention dans cette pièce, et plus généralement dans le travail d’Edith Dekyndt, c’est ce caractère polysémique : en créant cette œuvre, l’artiste a composé un tableau à peine mouvant, au rythme languissant, médiatif, hypnotique, qui, des années plus tard, est devenu, dans un autre contexte, la figure de proue d’un mouvement de résistance contemporain (le mouvement de la révolte en Iran qui a éclaté en septembre dernier).
Crédit : Note de la rédaction de la Bourse de Commerce Collection Pinault
AT
Morceau d’essai de cristal bleu irisé, Cristallerie du Val St Lambert, 1974, Belgique. Peau d’agneau recouverte d’argile bleue de la Formation de Gault de la ville de l’île de Wight, Royaume-Uni, ce fond géologique s’est créé dans les milieux marins calmes et assez profonds au cours du Crétacé inférieur, il y a environ 120 millions d’années. Bord de tissu cousu posé en suspension dans du sucre cristallisé, bocal de verre.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Plusieurs heures par semaine, une personne se trouve dans la vitrine 3 et frotte méthodiquement une gomme à la surface des vitres. On peut considérer le geste comme une tentative d’effacer les images, un essai sans fin, une concentration introspective qui confronte à la fois le gommeur et le visiteur au moment présent. Il s’agit d’une réitération d’un geste réalisé pour la première fois par l’artiste dans une vitrine à Vancouver en 1996.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Diptyque en velours de soie ayant absorbé du café par capillarité. Ruban en plumes de coq utilisé pour les parures de carnaval, Sao Paulo, Brésil. Le caoutchouc naturel provient du latex d’un arbre d’origine amazonienne, l’Hevea brasiliensis. Le mot caoutchouc de la langue quechua, parlé dans cinq pays d’Amérique du Sud. Papier d’emballage de munitions, début du 20e siècle, France. Coupons de pièce réalisées en feuilles d’argent (mine de Yanacocha, Pérou) et or blanc (mine de Muruntau, Ouzbékistan) sur des tissus plissés réalisé en Turquie. Citron recouvert de tissu en suspension dans un gel issu de quartz.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Cuir d’agneau basane d’Australie transpercé d’épingles d’acier. Œuf et coussin recouverts de velours écrasé imbibé de café, Berlin. Pelote de laine d’agneau brun avec fils d’or japonais.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Fin de rouleau de tissu de reliure Paperasse mangé par des souris, MumbaÏ, Inde.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Laque de Chine traditionnelle sur toile de lin des Flandres réalisée avec maître Duangkamol Jaikompan dans l’enceinte du Temple Nanthawan, Chang MaÏ, nord de la Thaïlande. La laque de Chine traditionnelle est faite d’une succession d’environ vingt couches de résine végétale mêlée à du noir de fumée de riz. Les couches successives deviennent translucides au fil du temps, elles apparaîtront dans quelques siècles. Tissu cousu en plissé de coton naturel Sergé brossé à la craie de Meudon s’est formée en milieu marin par accumulation de débris de coquilles d’algues unicellulaires qui vivent dans les lagunes où l’eau est peu profonde et chaude. Les gisements de craie de Meudon, Île-de-France, se sont déposés au cours du Crétacé, il y a 60 à 80 millions d’années.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Toile de coton bouillie tendue sur châssis, poudre de cuivre provenant de la mine de Lwishia, Katanga, République démocratique du Congo, chlorure de calcium déliquescent, humidité ambiante.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Robe découpée avec fermeture à glissière cousue à la main en tissus de polyamide et de polyester. Les Petits Riens, rue Américaine, Bruxelles.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Brocard de soie lyonnaise d’inspiration orientale, dessinée sur l’envers au pastel sec végétal de couleur jaune. Mèches de cheveux décolorés provenant d’Inde.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Broderie de fil de coton mercerisé ou encore appelé fil à âme sur toile de lin naturel. Couverture de laine recouverte de Black Wax destinée à la conservation de fromage.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Deux toiles de jersey de coton renfermant de la pâte à pain fermentée avec une levure de type dekkera bruxellensis, levure sauvage présente aux abords de la Senne à Bruxelles. Un qeleshe ou plis de laine feutrée blanche, coiffe traditionnelle des Albanais. Le mot qeleshe est issu de lesh, qui signifie laine en albanais. L’origine de ce bonnet remonte aux Illyriens antiques. Bâton de bois entouré de fil de coton mercerisé.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Bord en velours de couverture de laine, eau ozonée, vasque en Altuglas.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Feuilles de cuivre, mine de Rheinbreitenbach, Rhénanie-Nord-Westphalie, Allemagne, sur couverture de laine naturelle tissée et feutrée.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Un drapeau fait de cheveux naturels, un drapeau représente généralement la personne morale d’un groupe ou d’une communauté telle qu’une nation, un territoire, une ville, une organisation, une compagnie ou un régiment.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Toile de tissu de type bayadère, originaire d’Inde et qui s’est répandu dans le monde lors de la colonisation du sous-continent. La toile a été enterrée durant l’hiver dans la montagne Belledonne, située près de Grenoble.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Les feuilles de marronnier, de chêne et d’érable posées sur la vitrine sont inspirées des feuilles de poilus, soldats qui étaient dans les tranchées de terre durant la première guerre mondiale. Les soldats ajouraient les feuilles avec la brosse de leur trousseau destinée à lustrer les boutons de métal de leurs uniformes. Ils y représentaient des motifs sentimentaux, des images saintes ou bucoliques qu’ils envoyaient à leurs proches. Les feuilles décorées sont sans doute la discipline de l’artisanat de tranchées la plus rare, la plus délicate qui fut créée dans les conditions de cette vie sous terre.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Lasso, Fort Worth, Texas, USA. Utilisé par les gardiens de troupeaux comme les gauchos ou les cow-boys, ou lors de guerre par les Huns dans l’Antiquité et les cavaliers hongrois lors de la révolution de 1848. Dessin de sang humain sur papier quadrillé.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
AT
Cuir d’agneau tanné, origine inconnue transpercé d’épingles d’acier. Gomme-laque produite par la femelle de la cochenille Kerria lacca dans les forêts du sud-est asiatique. La femelle se fixe sur les arbres grâce à cette résine qu’elle secrète. La gomme-laque a été à l’origine de l’industrie du disque 78 tours.
Crédit : Note de la rédaction Bourse de Commerce/ Collection Pinault
Dans un second temps, Edith Dekyndt nous a présenté dans l’après-midi à la chapelle de l’ancien hôpital Laennec, aujourd’hui siège de Kering et de la maison Balenciaga, son exposition Aria of Inertia.
AT / Photo entrée ancien hôpital de Laennec
En ouvrant au public ce lieu patrimonial d’exception, en s’associant pour la septième année consécutive, aux Journées européennes du patrimoine, François-Henri Pinault ne cache pas sa satisfaction d’avoir accueilli Edith Dekyndt, invitée à concevoir ” pour la première fois dans ces lieux chargés d’histoire, une exposition personnelle qui fait dialoguer une sélection d’oeuvres de la collection Pinault avec de nouvelles productions“.
La beauté et la force de l’œuvre d’Edith Dekyndt réside dans cette conviction que tout objet est un organisme vivant qui interfère et répond en permanence avec l’environnement qui l’accueille. Comme mon père, François Pinault, je suis particulièrement attaché à ces interactions fondamentales entre patrimoine et création contemporaine. A travers ces zones de contacts et d’échanges, Edith Dekyndt réussit également à reconsidérer sans arrêt, avec intelligence et complexité, la place de l’humain et sa relation à son environnement. Je me réjouis que chacun d’entre vous puisse (re)découvrir ce lieu à travers son regard.
François-Henri Pinault (source : livret exposition Aria of Inertia)
Lors de cette visite en présence de l’artiste, nous nous sommes effectivement réjouis d’avoir découvert ce lieu non seulement à travers de notre propre regard, mais aussi des photos prises pour immortaliser ce moment chaleureux.
Scrunch, 2022 : vitre brisée brodée sur velours, 214*214 cm
AT
Blood Lacque 013, 2017 : Sang animal sur toile, 70*50 cm, Pinault Collection
AT
The Kingdom (Morsum 08), 2017 : Peau d’agneau, agrafes, bois, 80*60*10 cm / Winter Drums 04, 2016 : Soie transparente, colle de peau, altuglas, 50*40*12.5 cm, Pinault Collection
AT
Visitation Zone, 2020 : Installation, chorégraphie, vivariums, tubes fluorescents, pommes saumurées. Commissionnée par la Biennale internationale de Riga avec l’aide de la VV Foundation et le zoo de Riga
C’est à coup sûr, l’un des moments phares de cette visite au siège de Kering et à la Maison Balenciaga. Pour ce faire, l’artiste a mis à sa disposition certains éléments :
Vivariums éclairés par des tubes fluorescents
AT
Pommes saumurées
AT
Une jeune femme imperturbable dans ses va-et-vient, n’a d’yeux pour personne. Elle se contente tout simplement de déplacer et indéfiniment d’un contenant à un autre des pommes qu’elle prend tout le soin du monde de nettoyer. Rien ne la presse, elle prend tout son temps , fait-elle l’éloge de la lenteur ? Comme le témoignent les images suivantes, elle ne sourit pas, elle ne se laisse pas distraire, sans se plaindre elle accorde une certaine discipline à cette activité de nettoyage que l’on voit souvent comme une corvée : une chorégraphie bien orchestrée.
AT
AT
AT
AT
AT
Underground (Le Val St Germain), 2022 : Toile de coton, sédiments de terre et de végétation, 630*700 cm
AT
The Deodant, 2022 : Châssis tendu de toile coton, CaC12, tartre de vin, 24*30 cm
AT
Provisory Object 02, 2000 : Vidéo
AT
Oblok Magellana (Nuage de Magellan), (The Magellanic cloud), 2022 : Congélateur, pièce de tissu, eau, 155*63*89,2 cm
AT
Lesson of Darkness, 2022 : Clous, velours, 213*213 cm
AT
Southern Nature in Her Abundant and Majestic Splendor, 2019 : Mousse, tissu, aquarium, coussin chauffant
AT
Laboratory 03 (Stitched rose in jar), 2019 : Rose, fil, gel, 14*30 cm
AT
Terminal Beach, 1998-2016 : Drap de lit, rouille, 50*60 cm
AT
The Ghost Year, 2020, vidéo
AT