Oussama Ben Hmiden, ESSCA School of Management
Une version financière du supplice de la goutte d’eau ? Le tout finance et politique attendait vendredi 26 avril le verdict de Fitch et Moody’s sur la dette souveraine de la France. Résultat : la note est inchangée. Prochaine étape le 31 mai, où ce sera au tour de Standard and Poor’s de se prononcer. La focalisation du débat public autour de ces annonces constitue un indice de l’influence voire du pouvoir joué par ces acteurs historiques de la notation financière.
Au-delà des polémiques politiques inhérentes à cet exercice, le rôle de ces oracles est souvent critiqué. Les géants de la notation financière (appelé aussi, notation de crédit), à l’instar de Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, possèdent un pouvoir certain qu’il n’est pas scandaleux d’interroger. Comprendre la persistance de leur structure, renforcer leur régulation, accroître la concurrence sur le marché de notation financière sont autant de sujets abordés pour mieux comprendre la réalité de l’industrie de la notation financière.
Les agences de notation de crédit offrent aux investisseurs potentiels une information simple, lisible et synthétique sur le risque de défaillance d’un émetteur qu’il s’agisse d’entreprises, d’institutions financières ou d’États. En estimant le risque de défaut de l’emprunteur, les agences de notation sont censées réduire l’asymétrie d’information entre les acteurs des marchés informés et non informés ou moins bien informés, sans oublier les pas du tout informés.
Une double attente symétrique
La littérature économique s’appuie sur une idée de base : les asymétries d’information, matérialisées par un avantage informationnel détenu par l’une des parties dans la relation prêteur-emprunteur, justifient l’apparition d’un intermédiaire susceptible de les réduire. D’une part, les investisseurs et les prêteurs attendent des agences qu’elles émettent des avis sur la qualité de crédit des emprunteurs de manière fiable et objective. Les agences assurent donc un rôle essentiel car elles garantissent à tous le même niveau d’informations. Les notations attribuées par ces entreprises spécialisées comblent donc un manque éventuel d’informations et dispensent les opérateurs du marché des coûts qu’implique le traitement de gros volumes d’informations financières. D’autre part, les emprunteurs attendent que les notations reflètent correctement leur qualité de crédit. Cette double attente a permis aux agences de se développer et d’occuper une place centrale dans l’économie, en même temps que se développait le rôle des marchés financiers.
Au début des années 1970, les agences de notation, soucieuses d’attirer de plus en plus d’investisseurs, ont décidé de faire supporter aux émetteurs le coût de la notation, alors même que les notes accordées sont fournies aux investisseurs. Bien que critiqué pour les conflits d’intérêts potentiels, ce modèle payeur-émetteur des agences semble paradoxalement efficace, voire indispensable.
En effet, la qualité des notes pourrait se détériorer avec le temps si les agences de notation se trouvaient dans l’impossibilité de financer adéquatement les recherches nécessaires. De plus, une diminution de l’intérêt des investisseurs risquerait de rendre les agences moins enclines à produire les évaluations de haute qualité et à se contenter de notes de bas de gamme, suivant ainsi le modèle de domination par les coûts de porter.
Une réputation centenaire
Deux facteurs ont maintenu, voire progressivement renforcé, la dépendance à l’égard des agences de notation : la certification du métier par l’attribution d’un statut américain (NRSRO) et la reconnaissance officielle et institutionnalisée des agences. Leur influence sur les marchés financiers a conduit la plupart des autorités de régulation à s’interroger sur les décisions à prendre afin de les contrôler plus efficacement.
En effet, l’encadrement et la surveillance des agences par les pouvoirs publics et les organismes de réglementation nationaux et internationaux visent à rechercher l’équilibre entre le maintien de la structure actuelle et la stabilité du système financier. Ceci se déroule dans un contexte, où les investisseurs manifestent devant diverses instances de régulation, un profond attachement aux notes de crédit décernées par les principales agences de notation financière.
La place occupée par les agences aujourd’hui s’explique en grande partie grâce à la volonté et à l’habitude des investisseurs de disposer des notes financières provenant des principales agences, et ce depuis plus d’un siècle. La réputation constitue donc une ressource stratégique que les agences exploitent pour former un avantage compétitif rendant improbable l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché et pour, ainsi, réaliser confortablement d’importantes marges. Cela rend l’arrivée d’un nouveau concurrent plus difficile car un entrant sur ce marché devrait réunir des capitaux importants pour atteindre immédiatement une taille critique suffisante et construire sa réputation.
La méthodologie des agences de notation a fait l’objet de nombreuses critiques qui ont rejailli sur les agences elles-mêmes. Les méthodes d’analyse et les procédures de notation sont jugées insuffisamment claires par leurs contempteurs. La transparence des méthodologies telle qu’affichée par les agences ne semble donc suffisante pour la bonne compréhension des notes publiées. En effet, plusieurs recherches récentes démontrent que les décisions des principales agences sont opaques et subjectives.
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Des méthodes contestées
Les sources possibles d’opinions biaisées sont par exemple liées au pouvoir de lobbying, ou l’exercice de la pratique du rating shopping. En ce qui concerne le pouvoir de lobbying, des études mettent en lumière la manière dont les gouvernements exercent des pressions sur les agences de notation pour améliorer leur notation de crédit et diminuer les coûts économiques élevés liés au risque de défaut souverain. Le rating shopping consiste, pour un émetteur, à rechercher l’agence qui attribue la meilleure note. Le but est souvent d’obtenir une notation plus élevée que ce que le titre mérite réellement, ce qui peut conduire à une sous-évaluation du risque de crédit et, donc, à une surestimation de la qualité du titre. Cette pratique est largement critiquée car elle peut nuire à l’intégrité des marchés de titres de crédit et à la confiance des investisseurs.
A cela s’ajoute une critique davantage géopolitique. Des pays comme la Chine, l’Inde, la Russie et la Turquie ont critiqué les agences internationales, soupçonnées de partialité envers leur dette souveraine. La méthodologie utilisée favoriserait, selon ces pays, les pays occidentaux au détriment des économies émergentes. Ce conservatisme aurait de graves conséquences pour les pays émergents, en affectant l’ensemble de l’économie. Pour rappel, une réduction de la notation souveraine peut entraîner des taux d’intérêt plus élevés sur la dette et des conditions plus strictes d’accès au capital.
Plusieurs études fournissent des preuves que les agences de notation tiennent compte de différentes variables macroéconomiques et n’attachent pas une importance similaire au même facteur. Par ailleurs, les désaccords entre les agences de notation peuvent découler d’opinions sur les facteurs qualitatifs utilisés pour fonder leur évaluation de crédit. La littérature sur les déterminants qualitatifs de la notation souveraine indique que les institutions juridiques et politiques – estimées par l’État de droit, la stabilité politique, l’état de la démocratie, le contrôle de la corruption, l’efficacité du gouvernement et le cadre réglementaire – affectent de manière significative les décisions de notation souveraine.
D’autre part, des études antérieures ont examiné si le biais régional ou domestique peut être une raison des divergences dans les notes de crédit. Ces travaux suggèrent que ces biais sont à l’origine d’une perception plus optimiste des risques. Ces études suggèrent d’établir plus d’agences de notation de crédit dans différentes régions pour améliorer l’allocation des ressources financières entre les différentes régions de la planète. Ici se repose la question du capital nécessaire pour arriver à la même taille et à la même puissance que les acteurs en place.
Afin d’accroître la concurrence, l’idée des régulateurs nationaux et internationaux est de faire émerger de nouvelles agences capables de concurrencer l’oligopole actuel. Toutefois, l’arrivée de nouvelles agences de tailles différentes, telles que l’agence chinoise Dagong fondée en 2010, ne semble pas bouleverser le marché et la plupart ont fait marche arrière et se sont contentées de niches négligeables.
Oussama Ben Hmiden, Professeur de finance, HDR, ESSCA School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.