2017. Affaire Weinstein. Alyssa Milano poste un message sur son compte Twitter invitant toutes les femmes victimes de violences sexuelles à lui répondre #Me too.
5 ans après la libération de la parole de milliers de femmes contre les agressions sexistes et sexuelles : où en est-on ?
Les victimes qui n’avaient jamais osé parler ou n’avaient pas été entendues pour cause de prescription ou non enquête s’exprimaient sur les réseaux sociaux et se serraient les coudes : “Moi aussi, ça m’est arrivé et je veux être écoutée car ce n’est pas normal. La honte doit changer de camp.”
Ce tsunami international a explosé dans le milieu influent du cinéma, en politique puis tous azimuts, rasant toutes les couches sociales, rassemblant les femmes au-delà des ethnies, loin des convictions politiques ou religieuses.
En effet, le mouvement #Me too est un phénomène social spontané qui ne relève d’aucune organisation en particulier.
Et le spectre des violences est large.
On parle du harcèlement sexuel dans la rue ou au travail, de gestes et propos déplacés, d’actes forcés sous le coup de l’emprise en allant jusqu’au viol, sans oublier l’inceste et la pédophilie.
Aujourd’hui femmes et hommes se mobilisent pour dire STOP aux abus sexuels, car ce problème sociétal nous concerne tous : il touche nos pères, nos sœurs, nos voisins, nos enfants.
5 ans après #Me too : c’est la société, l’éducation, la police et le système judiciaire qui doivent évoluer.
Débuts de #Me too : Tarana Burke ou Alyssa Milano ?
En octobre 2017, un article du New York Times, puis un autre du New Yorker accusent le célèbre producteur hollywoodien Harvey Weinstein de viols, violences sexuelles et chantage sexuel sur plusieurs femmes qui témoignent.
Fin octobre, elles sont 93 à parler publiquement contre lui : des actrices, mais aussi des employées, journalistes, mannequins, productrices ou assistantes. Parmi elles : Angelina Jolie, Salma Hayek ou encore Rose McGowan.
C’est ce fait médiatique et judiciaire qui va mener Alyssa Milano à partager le célèbre tweet #Me too auquel répondent des centaines de milliers de femmes.
Ce qu’on connaît moins, c’est que la première personne à avoir utilisé le terme Me too était Tarana Burke, une éducatrice et militante afro-américaine.
En 1996, elle est confrontée au souvenir des violences sexuelles de son enfance lorsqu’une fillette de 13 ans lui confie être violée par son beau-père. Pas en mesure de gérer émotionnellement cet appel à l’aide, elle confiera l’enfant à une autre éducatrice.
Tarana Burke se relève et décide d’agir en 2007 avec la création de Me Too Movement, une chaîne de solidarité pour les victimes d’agressions sexuelles.
Il est important de mentionner son empreinte initiale dans le mouvement #Me too car les femmes racisées venant parfois de milieux populaires et défavorisés sont encore plus mal accueillies par la police et la justice lorsqu’elles décident de parler. En effet, on minimise la gravité des actes, supposant qu’elles appartiennent à un environnement plus machiste et patriarcal. Pas accompagnées ni protégées suite à leurs plaintes, s’ensuivent de nombreux suicides et “crimes passionnels”.
L’objectif premier de #Me too était de lutter contre la culture du viol et du harcèlement sexuel en redonnant le pouvoir et la parole aux victimes (souvent des femmes). L’empathie, l’écoute, la sororité et la solidarité étaient au cœur de la démarche qui voulait aussi marquer ce problème de société par des chiffres. Et ce sont des centaines de milliers de femmes qui se sont manifestées.
Une étape incontournable du féminisme et de l’égalité hommes-femmes
La dénonciation des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes, c’est évidemment la suite logique du combat féministe millénaire contre la misogynie et pour l’égalité.
Au cours de l’Histoire, le mouvement féministe a connu des vagues successives de petites victoires : droit à l’éducation, au vote en 1944 et à l’avortement en 1975 en ce qui concerne la France.
Depuis lors, les femmes sont actives dans la société. Mais l’ambiance hyper sexualisée dans laquelle elles interviennent à tous niveaux ne leur a pas fait de cadeau. Avant #Me too, on ne s’était pas rendu compte à quel point la misogynie était encore présente et répandue.
Les femmes se sentent parfois en danger lorsqu’elles sortent seules dans certains quartiers ou à des heures tardives mais elles subissent aussi du harcèlement sexuel et des viols au travail, à l’école, au sport, etc.
Les victimes de comportements sexuels déviants se sont senties considérées comme des objets. L’après #Me too veut redonner une place de sujet à chacun dans la société : personne n’a le droit d’exercer une contrainte physique ou sexuelle sur autrui.
Donner la parole aux victimes de s’exprimer sur les faits et de proposer des solutions qui fassent évoluer la situation, c’est aussi leur rendre ce rôle de sujet.
#Me too apparaît dans le monde du cinéma et du show-biz
C’est évidemment le statut de star d’Alyssa Milano qui va permettre au phénomène #Me too d’exploser. Le même hashtag venant d’une inconnue aurait eu moins de portée ou se serait répandu moins vite. Venant d’une icône, des milliers de femmes victimes se sont identifiées et senties en confiance pour témoigner à leur tour.
Dans les milieux du cinéma, de la politique ou simplement dans le monde du travail, les femmes se sont insurgées contre l’omerta dont jouissaient certains hommes bien placés et coupables.
Influents, connus ou respectés, ils se servent de leur statut pour assouvir leurs désirs. Certains sont juste grossiers ou ont les mains baladeuses. D’autres passent à l’acte sexuel sans consentement ou écartent la candidature de celles qui refuseraient leurs avances.
Il ne s’agit pas de la célèbre “promotion canapé”, qui ne devrait même pas exister, mais bien d’abus de pouvoir, manipulation et domination dans un contexte où la victime est vulnérable, plus jeune ou souffre de difficultés financières.
Bon nombre de scandales de ce type ont explosé en France ces dernières années.
Au cinéma, on a vu Adèle Haenel accuser Christophe Ruggia d’attouchements répétés, quand elle avait entre 12 et 15 ans. L’actrice devient un emblème féminin lorsqu’elle quitte la cérémonie des Césars qui nomine et applaudit Roman Polanski pourtant touché par une énième accusation de viol.
Le réalisateur Luc Besson, lui aussi, est accusé de viol et comportements sexuels inappropriés de la part de 9 femmes.
Aux Etats-Unis, en 2019, le chanteur R. Kelly est condamné à 30 ans de réclusion criminelle pour pédophilie, trafic et exploitation sexuelle de mineurs, production de pédopornographie et corruption.
En Asie, l’acteur sud-coréen Jo Min-Ki, accusé d’agressions sexuelles par au moins huit femmes avoue et finit par se suicider.
#Metoopolitique et #Metoomédia sous les feux des projecteurs
En politique, qui a raté l’affaire DSK, accusé d’avoir violé une femme de chambre, Nafissatou Diallo, avant de quitter son Sofitel à New York ? Il sera finalement libéré et l’histoire se terminera par une transaction d’un million et demi de dollars en faveur de la plaignante.
À la télévision, c’est Patrick Poivre d’Arvor qui est mis en cause. Plusieurs femmes l’accusent publiquement de violences sexistes et sexuelles dans un contexte d’emprise psychologique et d’abus de pouvoir. La superstar de TF1, nie toute relation non consentie et l’affaire judiciaire est toujours en cours.
Néanmoins, sa présence dans le jury du Grand prix du rayonnement français de 2022 suscite l’indignation.
En France, Tariq Ramadan est incarcéré pour des faits de viols, d’agressions sexuelles, manipulation psychologique et intimidation en février 2018. Il sera finalement mis en liberté sous contrôle judiciaire en novembre 2018 suite à de multiples appels de la part de son avocat, et après avoir versé une caution de 300 000 euros.
La journaliste japonaise Shiori Ito devient la figure nationale de #Me too au Japon en obtenant des dommages et intérêts d’un haut responsable de la télévision qu’elle accuse de viol.
Les agressions sexuelles existent aussi dans le milieu scolaire et le sport où professeurs et entraîneurs sportifs peuvent exercer une domination et un abus de pouvoir sur leurs élèves : femmes, adolescents ou enfants. On pense au récentes dénonciations à Sciences Po avec #sciencesporc et aux accusations de la patineuse artistique française Sarah Abitbol envers son ex-entraineur Gilles Beyer.
Pourquoi médiatiser ces affaires ?
#Me too s’est-il transformé en tribunal médiatique comme le critiquent ses détracteurs ? Pourquoi les femmes dénoncent-elles en public plutôt que de porter plainte ?
Tout d’abord, il faut savoir que certaines femmes ont déposé plainte dès le début alors que d’autres non car elles n’avaient pas confiance en la justice ou critiquaient le système de prescription (après 20 ou 30 ans le dossier est trop vieux et donc clos).
En ce qui concerne les “stars”, leurs histoires sont révélées par les journalistes et intéressent les foules de par leur notoriété.
Mais il y a bien une réelle volonté des victimes à médiatiser pour plusieurs raisons :
- On imagine inconsciemment que ces femmes ont voulu se retrouver dans les bras de cet homme adulé ou ont consenti afin d’accélérer leur carrière.
Elles ne se sentent donc ni crues ni écoutées.
- La loi du silence règne dans l’entourage de cet homme puissant. Personne ne témoigne contre lui.
- Cet homme célèbre a de l’argent pour s’entourer des meilleurs avocats alors que ce n’est pas toujours le cas des femmes.
- La victime qui témoigne contre son patron, son producteur ou son coach est certaine de perdre son travail dès le lendemain. C’est aussi cette situation de détresse et de précarité forcée qu’il faut souligner.
- Le prédateur sexuel agit souvent plusieurs fois. Les victimes témoignent ouvertement pour inviter d’autres victimes à se manifester.
- Les victimes médiatisent les faits afin d’obliger la justice à prendre l’affaire en main plus rapidement.
Le mouvement solidaire mondial #Me too dépasse les frontières et les idéologies
Imaginez-vous : 53 millions de messages comportant le #Me too sur Twitter en 5 ans !
Après le premier#Me too, aux Etats-Unis, ce sont des centaines de variations qui sont apparues au quatre coins du globe pour témoigner des violences sexistes et sexuelles dans tous les milieux.
On retrouvera #Metooinceste, #Metoothéatre, #Metoogay, #BalanceTonPorc lancé par la journaliste Sandra Muller en France mais aussi #YoTambien, #YeWoShi, etc. dans des dizaines de langues.
Mais les détracteurs de Me too existent et se font entendre. Qui sont-ils et quelles sont leurs critiques ?
Contestations et limites du tribunal médiatique #Me too
En octobre 2017, la journaliste Sandra Muller sort #BalanceTonPorc, un #Me too français qui incite les victimes à mentionner le nom de leur agresseur sexuel.
Dans la foulée, elle dénonce les propos très déplacés d’Éric Brion, ancien président de la chaîne Equidia et porte plainte pour harcèlement sexuel.
Ce dernier reconnaît publiquement avoir eu un comportement inapproprié mais il l’attaque en justice pour diffamation et gagne le procès. En 2021, la cour d’appel reconnaît à Sandra Muller le bénéfice de la bonne foi dans un climat de libération de la parole des femmes victimes.
En effet, les personnes qui dénoncent publiquement leurs agresseurs dans les médias ou sur les réseaux sociaux risquent d’être poursuivies pour diffamation et c’est bien normal.
Une autre question se pose : En politique, faut-il écarter directement les personnes accusées de violences ? Nos représentants doivent-ils avoir un comportement exemplaire ?
Le cas s’est posé dernièrement avec le député Adrien Quatennens, mis en retrait suite à une plainte de son épouse pour une gifle (avouée) dans un contexte de divorce difficile.
D’autres détracteurs du mouvement parlent de chasse à l’homme. Certains hommes accusés se défendent d’avoir dragué un peu lourdement ou décrivent une situation de jeux de séduction consentis.
Les accusés ont droit à la présomption d’innocence tant qu’un jugement, preuves à l’appui, n’a pas été rendu. Leur image et leur réputation devraient être protégées tant que le jugement n’a pas eu lieu. Car si #Me too a beaucoup mis en avant la libération de la parole et la liberté d’expression des victimes, la préservation des accusés a vraiment fait défaut.
Les accusations de crimes, quels qu’ils soient, ne devraient pas être autant médiatisées, car leur jugement appartient à la justice.
Il faut garder en tête que des propos mensongers ou exagérés peuvent complètement détruire la carrière ou la vie d’un accusé, qu’il soit célèbre ou inconnu.
Procès Heard-Depp, quelles conséquences sur #Me too ?
En 2022, on assiste au procès en diffamation de l’ex couple Amber Heard-Johnny Depp qui va finalement les condamner tous les deux.
Pourtant, c’est une victoire écrasante pour Johnny Depp. Son ex-femme est jugée coupable de diffamation avec réelle malveillance, devant lui verser une somme de 10,35 millions de dollars.
La superstar hollywoodienne avait pourtant perdu son premier procès en 2020 contre le magazine britannique The Sun qui l’avait qualifié de « batteur de femme ».
Alors, que s’est-il passé ?
Ce procès va-t-il décrédibiliser la parole des femmes ?
Premièrement, cette affaire a nuancé la tendance à croire que les hommes étaient toujours les agresseurs. La violence psychologique et physique, notamment dans le couple, touche les femmes comme les hommes même si elle est plus fréquente à l’encontre des femmes.
Deuxièmement, le procès a prouvé une fois de plus à quel point il est presque impossible pour l’opinion publique de changer son regard sur un homme si puissant, familier et charismatique comme Johnny Depp. On parle d’un homme doux en apparence, le sex-symbol de plusieurs générations et un acteur hyper talentueux qui nous a tous fait vibrer.
Ce procès était retransmis en direct sur les chaînes de télévision américaines et les réseaux sociaux. Aux commandes, non pas par un juge mais par des jurés : des citoyens comme vous qui ont baigné dans l’ambiance caricaturale anti Amber Heard du début jusqu’à la fin du procès. On peut se demander comment leur jugement n’a pas été influencé par la diabolisation de l’actrice dans les médias.
Malgré les mensonges avérés d’Amber Heard et la relation toxique qu’ils ont vécue, de tels faits ne devraient pas être révélés au grand jour dans un magazine ni lors d’un jugement public aux allures de Loft Story.
L’avenir de #Me too : quelles mesures contre les violences sexistes et sexuelles ?
Il est vrai que les faits d’agressions sexistes et sexuelles sont très difficiles à prouver ou à réfuter car ils se déroulent souvent à huis clos.
C’est en partie pourquoi 73 % des plaintes pour viols et violences sexuelles sont classées sans suite.
Dans ces accusations, il faut faire une distinction nette entre les faits extrêmement graves de viol et pédophilie et des faits répréhensibles comme le harcèlement sexuel et les propos ou gestes déplacés. Ces deux types d’accusations ne seront pas pris en charge ni jugés de la même manière.
Néanmoins, si les actes mineurs de harcèlement sexuel et propos/gestes déplacés ont longtemps été tolérés, aujourd’hui c’est fini. Les hommes ne se gênaient pas à mettre la main aux fesses ou à avoir des propos crus avec la stagiaire ou la secrétaire car c’était normal. Mais depuis #Me too, les femmes aimeraient voir évoluer ce climat sociétal et chacun à un rôle à y jouer.
Si autant de victimes ont parlé, c’est parce que la police et la justice ne font pas leur travail. Les policiers et tribunaux sont complètement dépassés par la quantité de cas à traiter que ce soit de la violence physique, psychologique et sexuelle sur des femmes (et parfois des hommes) mais aussi à l’encontre des enfants.
Afin que toutes ces affaires ne soient pas étalées sur la voie publique et finissent en procès pour diffamation, la police et la justice doivent agir dans des délais plus courts, avec de vraies enquêtes, armés du budget nécessaire. Il faut aussi plus d’hommes et de femmes oeuvrant pour cette cause.
À l’école et à la maison, il est grand temps également de réformer l’éducation des filles et des garçons en matière de sexualité, respect et consentement. Il faut aussi sensibiliser les jeunes à comprendre ce qu’est l’abus de pouvoir, la domination et la manipulation à des fins sexuelles afin de les protéger contre ce délit.
Le mouvement #Me too a permis une prise de conscience sur un phénomène grave et récurrent dans notre société moderne.
En conciliant la liberté d’expression avec le respect d’autrui, il est impératif que les hommes et les femmes collaborent à tous les niveaux, que ce soit personnel, familial, policier, ou judiciaire, afin de concevoir des mesures appropriées à mettre en œuvre.
Pour qu’aucune personne ne dise plus jamais “me too”.