Si chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne, cela n’est toujours pas un pari gagné d’avance. Chaque parent y va souvent de l’éducation qu’il a aussi reçue, mais les choses changent, nos sociétés se transforment.
Est-il possible, alors, de trouver ses repères ? Au-delà d’un “bon sens” dont la perception varie d’un individu à un autre, que faut-il rejeter et que faut-il accepter d’inculquer à sa petite fille ? Au-delà d’être un manifeste, ce livre est un trésor perdu que j’ai retrouvé dans les rayons d’une librairie aux Halles de Châtelet. Tout ce dont pourrait rêver une mère, vu que c’est le cas ici, pour éduquer sa fille de façon féministe. Ce livre ne manquera pas, j’en suis sûr, de créer un certain scandale dans le rang des antiféministes, toutes tendances confondues.
C’est un sujet qui nous concerne tous et qui nous brûle, et même si l’on n’est peut-être pas encore parent ou que l’on ne le souhaite pas, on a toujours une nièce ou la petite fille d’un(e) ami(e) qui nous affectionne. Le manifeste est disposé en quinze suggestions décrites avec lucidité, au point d’être perçu comme un grand cri d’amour. Ce qui est encore plus remarquable, c’est que le livre parle d’éducation féministe à une petite fille, mais remet considérablement en cause le patriarcat. Chimamanda, à travers ce manifeste, n’a pas seulement donné des conseils à son amie Ijeawele, elle a tracé un chemin. Que ce chemin fasse ou non l’unanimité, elle l’a tracé quand même avec toute la passion, la sincérité et la classe qu’on lui connaît. Une œuvre dont je salue d’ailleurs l’ambition. Ses conseils m’ont illuminé et se sont imposés à moi en même temps, avec une douceur et une force peu communes. C’est un livre qui se lit en deux heures, je l’ai refermé en regrettant qu’il finisse si vite. Peut-être Chimamanda voulait-elle simplement murmurer à l’oreille du lecteur.
Si l’autrice, sur la quatrième de couverture, dit : “qu’elle est convaincue de l’urgence qu’il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l’égard des femmes et des hommes”, j’abonde dans le même sens.
Il a fallu qu’une amie appelée ici Ijeawele demande à son amie féministe Chimamanda de lui prodiguer quelques conseils pour élever, selon les règles de l’art du féminisme, la petite fille qu’elle venait de mettre au monde.
Cette demande a été prise au sérieux par l’écrivaine nigériane, qui n’a pas cherché les mots pour venir à bout de cette mission. Retenons que cette lettre a été adressée à une amie de l’autrice qui vit en Afrique, au Nigéria, et que ses conseils ont pris en compte certaines réalités culturelles de ce pays. Il n’en demeure pas moins que sa pertinence reste d’esprit.
Entre autres et pêle-mêle, je dresse à ma façon le tableau des enseignements que j’en tire :
- Apprenons à nos filles à être des personnes pleines et entières.
- Apprenons à nos filles que les hommes et les femmes doivent partager les tâches en fonction de ce qu’ils auront décidé comme étant leurs responsabilités respectives.
- Apprenons à nos petites filles de ne pas hésiter à remettre en question les règles du féminisme si le contexte l’exige.
- Évitons en tant que parents d’inculquer à nos petites filles l’existence de rôles de genre.
- Sensibilisons-les au danger du “féminisme light” qui accepte la supériorité naturelle de l’homme sur la femme.
- Donnons-leur l’amour de la lecture.
- Apprenons à nos petites filles à remettre en question les mots.
- Évitons qu’elles aient le souci de plaire, mais encourageons plutôt leur sincérité, leur bienveillance et leur courage.
- Apprenons à nos filles à avoir un sentiment d’identité en leur apprenant l’histoire de leur origine et en leur montrant des modèles auxquels elles pourront s’identifier.
- Apprenons à nos filles que le féminisme et la féminité peuvent coexister.
- Apprenons à nos filles à questionner la façon dont la culture utilise la biologie de manière sélective pour justifier des normes sociales.
- Offrons-leur une éducation sexuelle lorsque qu’elles grandissent.
- En tant que parents, intéressons-nous à la vie amoureuse de nos filles lorsqu’elles grandissent, et ne faisons pas de cela un tabou.
- Apprenons à nos filles ce qu’est l’oppression sans pour autant idéaliser ceux qui la subissent.
- Apprenons à nos filles à avoir leurs propres opinions tout en respectant les choix des autres.
Pour conclure, il est important de rappeler que de nombreux auteurs se sont penchés sur la question de la condition féminine, parmi lesquels Simone de Beauvoir a joué un rôle prépondérant. Dans son livre le deuxième sexe, elle disait ceci :
Tout individu qui a le souci de justifier son existence éprouve celle-ci comme un besoin infini de se transcender. Or, ce qui définit d’une manière singulière la situation de la femme, c’est que étant comme tout être humain une liberté autonome, elle se découvre et se choisit dans un monde où les hommes lui imposent de s’assumer comme l’Autre : on prétend la figer en objet et la vouer à l’immanence puisque sa transcendance sera perpétuellement transcendée par une autre conscience essentielle et souveraine.
Source : Livre le deuxième sexe / Simone de Beauvoir
Même si le sujet abordé ici ne concerne pas directement la condition féminine, il est indéniable qu’il existe un lien évident entre l’éducation d’une petite fille et sa condition en tant que femme. L’éducation joue un rôle crucial dans la façon dont les individus perçoivent et interagissent avec le monde qui les entoure.
Si vous êtes favorable au changement et à l’évolution des mentalités, vous apprécierez certainement ce manifeste qui aborde ces questions avec clarté et engagement. Il offre des perspectives intéressantes pour une éducation plus égalitaire et émancipatrice, contribuant ainsi à transformer la société dans laquelle nous vivons.