La beauté sauvera le monde. Fedor DostoÏevski

A la recherche du bonheur

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Crédit Photo : Flickr El Hormiguero via https://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/

Pourquoi regardons-nous des films ? Est-ce juste pour le plaisir ? En tout cas, c’est un passe-temps qui nous passionne.

Nous essayerons dans cette rubrique d’analyser un film d’un point de vue philosophique et sociétal. Le film sera choisi au hasard. De cette analyse résulteront des contributions, voire des débats. Alors pour notre première expérience, notre choix s’est porté sur un film au scénario assez simple. Nous nous sommes posés une seule question :

Que désirent les hommes sur la terre ? Quelle est cette chose qui fait que nous nous levons tôt le matin et que nous nous couchons tard le soir ? Quel est cet idéal que nous poursuivons tous ? Quelle est cette chose qui nous motive ? Quelle est cette chose bien étrange qui rime avec joie, bien-être, félicité, réussite, prospérité, contentement, euphorie, liberté, indépendance, réconfort, satisfaction, ravissement, fortune, que nous désirons tant ? Le choix de ce film n’est pas anodin. Il s’intitule : “The Pursuit of Happyness” (À la recherche du bonheur). Si selon Aristote (métaphysique, IVe siècle av. J.-C.), c’est l’étonnement qui pousse à la philosophie, pour le commun des mortels, c’est la nécessité qui est la mère de toutes les inventions.

C’est donc le besoin, le manque, qui stimulent notre génie et donnent un sens à notre existence. Celui ou celle, qui a suffisamment de biens ne cherche pas davantage, mais se contente de ce qu’il ou elle a. Quand on a une maison par exemple, on ne cherche pas forcément à en avoir immédiatement une autre. Quand on a un emploi satisfaisant, on ne cherche plus forcément un deuxième. On cherche plutôt d’autres choses que nous ne possédons pas encore. L’homme est donc un éternel chercheur. Dans la fable de Jean de la Fontaine, le moribond disait à ses enfants : « Creusez, fouillez, bêchez. Ne laissez nulle place où la main ne passe et repasse ».

Le laboureur demandait ainsi à ses enfants de se surpasser si tant est qu’ils tiennent à s’emparer du trésor caché. Attention, ce qui, à la base n’est qu’ambition, surpassement de soi, peut être une vraie aliénation d’esprit. Alors qu’une sagesse latine dit que tous les chemins mènent à Rome, Épictète disait : « Il n’y a qu’une route vers le bonheur, c’est de renoncer aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté ». Et ces choses qui dépendent alors de notre volonté, sont-elles toutes bonnes pour nous ? Sont-elles toutes salvatrices ? Sont-elles toutes réalisables ? Sont-elles toutes bienvenues ? Quant à ces choses qui ne dépendent pas de notre volonté, n’arrive-t-il pas qu’elles nous définissent mieux que celles auxquelles nous croyons ?

Il faut donc trouver une adéquation entre les deux faces de cette pièce selon nos propres aspirations et convictions afin de comprendre à quel point la question est essentielle dans un monde aussi bien théâtral que fictionnel, où la réalité des choses se heurte très souvent à un conformisme généralisé et étouffant.

Face aux malheurs, déboires et calamités, que disait Blaise Pascal ? Eh bien, selon lui, l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme ne serait-il pas plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée.

Descartes disait également la même chose dans le discours de la méthode, 1637, mais d’une façon plus subtile : « Je pense donc je suis », affirme-t-il.

Suffit-il donc de penser pour être ? Tous les hommes qui ont accompli leurs rêves disent qu’il a fallu, dans un premier temps, que leurs esprits les conçoivent. Est-ce à dire que tous ceux qui n’y sont pas parvenus n’ont pas un esprit aguerri ? Ou doit-on y voir une conception statique ? Ce contraste nous interroge. Comment être heureux ? Le sommes-nous déjà sans même nous en apercevoir ? Il y a bien entendu à cette question autant de réponses qu’il y a d’expériences individuelles. D’aucuns disent que le bonheur est un état de plénitude stable qui émane des choses les plus ordinaires et les plus simples, avant de rajouter : « Mais il se mérite ». D’autres ne sont pas totalement de cet avis. Ils s’en prennent à ce “mais” qui vient rallonger la phrase et le voient d’un mauvais œil. À l’instar de Gustave Thibon, dans l’équilibre et l’harmonie, 1976, ils soutiennent que la feuille morte voltige d’un lieu à l’autre, mais tous les lieux se valent pour elle, car son unique patrie est dans le vent qui l’emporte.

Ceci pour rappeler que la perte d’une identité propre résulterait d’un certain conformisme aveugle qui corrompt notre nature et nous fait vivre dans une peau qui n’est forcément pas la nôtre.

Les plus catégoriques conditionnent le bonheur à une quête effrénée de plaisirs et à une accumulation de biens matériels, et se moquent si la poussière est appelée un jour à retourner à la poussière. Ce qui est d’autant plus intrigant, c’est quand on parle d’un bonheur parfait. Le bonheur pourrait-il avoir plusieurs nuances ? Peut-il être imparfait, court, long, beau, laid, etc. ? L’on entend parler d’un bonheur sans nuage. Existerait-il un bonheur obscur ? Bref, ce ne sont que des questions, et c’est ce dont se nourrit la philosophie.

Le film commence comme commencent nos journées. Chaque matin, on se lève tôt afin de vaquer à nos diverses occupations. En général, on se réveille avant même que le réveil ne sonne, car l’habitude étant une seconde nature, l’esprit finit par fabriquer son propre réveil, qu’il règle à sa manière. On bougonne avant de sortir du lit. On quitte le domicile un peu agacé, surtout quand on ne sait pas à quoi s’attendre durant la journée. Dans le film, après une douce nuit, la vie avait repris son cours normal.

Les gens se pressent. Les femmes, très bien habillées, regardent droit devant elles, et quand ça commence comme ça, on peut être sûr que la journée est partie pour être longue. Un homme d’un certain âge est allongé par terre. On voit qu’il a abandonné le combat de la vie. L’espoir est devenu pour lui un mot étrange. Il ne sait plus ce que c’est. De toute façon, à quoi bon ?

Cette condition d’une humanité fragile, Rousseau, même si les contextes ne sont pas forcément les mêmes, a su trouver les bons mots pour la décrire quand il dit que : « L’homme est né libre et partout, il est dans les fers ». Les fers du collège, les fers du lycée, les fers de l’université, les fers de la vie active, les fers de l’indépendance, les fers du mariage, les fers du célibat, les fers du divorce, les fers de la pauvreté, les fers de la richesse, les fers de la maladie, les fers de la soumission, les fers de la désobéissance, les fers de la croyance, les fers de la liberté, les fers de l’injustice. Aux dernières nouvelles, il existerait même des fers après la mort pour les mauvais élèves de la vie. Et qu’il n’ose chercher le secours de ses semblables, car à chacun ses fers. La vie, pour cet homme allongé, ne vaut plus la peine d’être vécue. Une seule question lui vient : Comment font tous ces hommes pour tenir le coup ?

Comment font-ils pour ne pas tomber ? Et quand ils tombent, comment font-ils pour se relever ? » Mais une petite voix lui répond : « Surtout, ne culpabilise pas. Tous les hommes ne sont pas nés sous la même étoile. Ils n’ont certainement pas eu une femme comme la tienne. Ils n’ont certainement pas eu un père qui ne les a pas aimés. Ils n’ont certainement pas eu une mère qui les a abandonnés dès leur plus tendre enfance. Ils n’ont certainement pas eu un boulot merdique. Ils ne souffrent pas des mêmes pathologies que toi ». Alors il se contente de ces explications et continue sa vie.

Les gens passent à côté de lui, mais à vrai dire, personne ne le remarque. Ils ne sont pas aveugles, mais ils ne le voient pas. Ils ne savent pas quoi lui dire pour le soulager. À force de côtoyer l’absurde, on finit par se faire une raison et on considère qu’au fond, la situation est normale. On finit par l’adopter, on s’acclimate. Ils ne savent pas comment répondre à son appel. Après tout, nous ne sommes pas tous des révoltés. D’ailleurs, il n’y a pas une minute à perdre, tout est chronométré. Une seconde de retard pourrait coûter un poste. Et quand on se souvient de ses impayés et de ses « à payer », on se ressaisit rapidement.

De toute façon, dans une société très capitaliste, le travail, s’il n’est pas notre dieu, c’est qu’il est notre maître. Pour l’acteur principal, Will Smith, la vie ne semble pas rose non plus. Se réveiller tôt le matin, accompagner son fils à l’école avant de commencer sa journée de vendeur d’appareils médicaux, une activité qu’il exerce bon gré mal gré, n’est pas toujours chose aisée. Mais, à défaut de mieux, il se contente de ce qu’il a. Pour ne point faillir à sa lourde responsabilité d’homme marié et de père dépassé par les événements, il doit se plier en quatre. Dans le film, le narrateur intitule le premier chapitre : “Prendre le bus”. Dans les grandes capitales, où les systèmes de transport sont développés, prendre le bus ou le train peut être un combat. En attendant patiemment son bus, Will fait la connaissance d’un homme très curieux. L’apparence négligée et l’allure épuisée de ce dernier lui confèrent, sans qu’il en ait le moindre soupçon, le vocable de clochard. Pour cet homme, le scanner que tient Will dans sa main n’est rien d’autre qu’une machine à remonter le temps.

Chose bizarre, n’est-ce pas ? Mais pourquoi penser à une machine à remonter le temps ? Le clochard remuera d’ailleurs ciel et terre afin d’entrer en possession de cette machine. L’analyse que nous faisons de cette situation est la suivante : Pourquoi ne lui est-il pas venu à l’esprit que cela pourrait être une machine à explorer le futur ? Pour la simple raison que cet homme ne se projette plus dans le futur. Son futur est derrière lui. Le futur pour lui est un endroit pas du tout sécurisé, c’est plus qu’une menace. C’est un grand fossé dans lequel il a peur de tomber pour de bon. Il vit au jour le jour. Même quand s’ouvre une opportunité pour que quelque chose change dans son quotidien, il referme cette porte de ses propres mains. Il préfère donc se cramponner à son passé et en faire une embase. Cette situation n’est pas sans explication. Si l’on creuse un peu plus, on se rendra vite compte qu’il fut jadis un homme qui a connu des moments de gloire. Il fut peut-être riche ou valeureux. Alors, toutes ses discussions tournent autour d’une période dont il a du mal à se désengager. Par ailleurs, le passé peut ne pas être reluisant ou glorieux, mais il arrive que l’on ressente une telle nostalgie qu’on a du mal à tourner la page. Ce cas est plus fréquent en amour. Ce qui, dans le film, n’est pas le cas de la compagne de Will.

Linda n’en peut plus. Elle ne sait plus comment s’épanouir dans son mariage. Ce n’est pas sa conception de la chose. Pour elle, le mariage est un chemin à sens unique sur lequel on avance comme sur des patins. Certes, pour le meilleur et pour le pire, mais pas n’importe quel pire. Le pire a certainement des limites. L’argent étant le nerf de la guerre, les mensonges de l’amour, ne sachant plus à quel sainte se vouer, elle regarde autour d’elle et puisqu’aucun œil ne la guette, elle prend la clé des champs, abandonnant face à son destin de looser celui qui fut, des années durant, son chevalier servant.

Les femmes en général n’aiment pas être confrontées à une telle situation. Pour elles, ce n’est jamais une décision facile à prendre, mais elles finissent tôt ou tard par la prendre. Quand le mariage devient amer, elles le crachent afin d’aller voir ailleurs si l’herbe n’est pas plus verte ou pour carrément retrouver la liberté de leurs 20 ans.

Heureusement que d’autres restent. Mais Will ne voit pas en cela une raison de se lamenter sur son sort ou de se reposer sur ses lauriers. Au contraire, il embrasse son malheur à pleine bouche et le caresse habilement. Il va ainsi d’un malheur à un autre sans jamais perdre son enthousiasme. Auprès de qui pouvait-il se plaindre ? Les jours passent et les nuits passent. Un beau matin, dans ses va-et-vient, voilà qu’il tombe sur ce beau grouillot. Le genre de type que nous croisons tous sur notre chemin. Belle voiture, beau costume, beau sourire, belle senteur… Le mec descend d’un joli cabriolet, d’une couleur assortie à sa cravate et à sa pochette de costume. Il devait certainement avoir un penchant pour le rouge, ce type.

L’admiration de Will pour cet inconnu est tellement grande qu’il l’apostrophe en ces mots : « Oh, super… j’aurais deux questions pour vous : vous êtes dans quel domaine et que faites-vous ? » Cette question ne lui est pas venue à l’esprit juste comme ça. Selon lui, le domaine dans lequel un Homme exerce a beaucoup à voir avec sa réussite dans la vie. En général, c’est ce que nous pensons tous, et nous avons souvent tendance à embellir nos réponses, surtout quand on sent que celui ou celle qui nous la pose semble être mieux loti(e) que nous.

Remarquons ici qu’une autre façon courante de poser cette question (quand on retrouve fortuitement une ancienne connaissance) est : « Il y a longtemps… Tu deviens quoi ? » et les réponses peuvent parfois être amusantes. Je pense à la fameuse : « Je me cherche »… et même mieux : « je viens de créer mon entreprise ». Cette pression liée à un métier prestigieux ou lucratif est souvent ressentie, surtout à un jeune âge. Nous fantasmons déjà sur des métiers que nous ne connaissons pas bien. Parfois, les parents peuvent être très exigeants à ce sujet. C’est un peu comme une coupe qu’il faut rapporter à la maison.

Cela explique pourquoi, même à l’adolescence, nous rêvons de métiers très respectés. Quand on nous demande ce que l’on envisage de faire comme carrière, c’est avec enthousiasme que nous évoquons des métiers tels que pilote, actuaire, banquier d’affaires, médecin, astronaute, ingénieur, expert-comptable, etc. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes rêvent d’une carrière de footballeur international. Une manière de bloquer déjà leur propre avenir. Pour certains de ces jeunes rêveurs, ça passe. Pour d’autres, ça casse.

Dans le film, Will va un peu plus loin quand il demande au jeune homme attendri : « Comment vous faites ? » Parce que pour lui, jouir du bonheur apparent que son interlocuteur dégage ne se résume pas seulement à être dans un domaine, même si celui-ci est censé être le bon. Une chose est d’être dans le bon domaine, une autre est de réussir à s’en sortir. Voilà donc pour lui une équation à deux inconnues qu’il passera le reste de son temps à essayer de la résoudre. Le jeune homme, supposons qu’il s’appelle Richard, répond qu’il est courtier en Bourse. Will lui demande en retour : « Euh… courtier, ça nécessite l’université, ça ! »

Crainte vague, inquiétude mal définie, appréhension. Voilà le nom du microbe qui ronge nos rêves. Autrement dit, nous nous disqualifions avant même que le match ne commence. Nous déclarons forfait très tôt. Cela naît d’un manque total de confiance en nous-mêmes et en nos capacités. Et puisque nous n’arrivons pas à bien faire la moindre chose, nous voyons des génies, des extraterrestres en ceux qui réussissent à faire quelque chose de leurs talents et de leur persévérance. Nous tirons des conclusions sans même introduire ou développer nos idées. Le vase déborde davantage quand nous sommes pris dans cette spirale de doutes et dans ce tourbillon de complexes. Ce qui nous projette dans un vide égoïste, dans lequel on broie du noir aussi longtemps que dure notre vie.

Dans ces abîmes, l’on n’entend que sa propre voix, et aussi celle d’un ogre qui menace de nous étrangler si jamais l’on cherche à en sortir. Tous les matins, cet ogre nous chante que nous avons déjà accusé un long retard sur la vie, que nous ne serons jamais en mesure de combler. Tous les soirs, ce même ogre nous rappelle que nous ne valons absolument rien et que le mieux, c’est de rester dans le gouffre. Au moins là-bas, personne ne viendra nous déranger.

Il va même jusqu’à faire des comparaisons et des syllogismes nous concernant. Mais à sa grande surprise, Richard lui répond : « Pas nécessaire… il faut juste être à l’aise avec les chiffres et à l’aise avec le public ». Au moins, Richard a été sincère. Si cela avait été « moi » ou « toi », on lui aurait répondu : « Ah, tu sais, rien n’est facile dans cette vie. C’est un métier très dur. Il te faudra 17 années d’études et 15 années de stage. Ce n’est pas pour te faire peur, mais ce que j’essaie de t’expliquer, c’est que tu devras traverser monts et vallées pour y arriver. Écoute, c’est la chose la plus difficile au monde. Franchement, si tu veux un conseil, n’y pense même pas, sinon tu risques de te brûler les doigts ».

Et là, comme des misérables, on baisse de nouveau la garde, convaincus que la chance ne sourit qu’aux autres et que la malchance ne sourit qu’à nous. Après cette rencontre avec Richard, un changement radical s’est opéré chez Will. Un doute s’installe en lui, et il se questionne : Si le problème vient de moi, pourquoi la solution viendrait-elle de quelqu’un d’autre ? Le fait de voir des gens qui n’ont pas deux têtes sourire bêtement à la vie, sans que celle-ci ne les réprimande d’une quelconque maladresse, lui fait un tilt. Ce qui le pousse à sortir cette phrase magique : « Ils avaient tous l’air diablement heureux. Pourquoi n’aurais-je pas l’air de cela ? »

Quand il annonce à la belle Linda qu’il envisage une reconversion professionnelle, Linda sent un piège. Elle ne l’encourage pas. Pourquoi d’ailleurs ? Pour elle, il y a longtemps que les carottes sont cuites. À moins qu’un miracle ne se produise, la vie de son homme continuera d’être une aventure ambiguë, sans queue ni tête. Elle en est plus que convaincue. La réponse de Linda choque profondément Will : « Alors, tu veux devenir courtier. Pourquoi pas astronaute ? » Elle aurait voulu rajouter : « Tu es libre de penser ce que tu veux. Il est permis de rêver. Mais de grâce, épargne-moi de tout ça. D’ailleurs, j’en ai marre ». Un matin, en se brossant les dents, Will y pense sérieusement. L’opportunité d’un stage interne vient soudainement frapper à sa porte.

Il n’est jamais trop tard pour tout recommencer. Chaque aube est une nouvelle chance, et chaque crépuscule, une nouvelle prière. Le souffle de vie est le seul capital dont nous avons besoin pour financer nos rêves.

Il avait économisé toute sa vie pour lancer une affaire lucrative ; enfin, c’est l’idée qu’il s’était faite de la chose. Ce qui finira par être un mauvais investissement. Le clochard, quant à lui, par l’effet du hasard, a fini par entrer en possession de la machine qui remonte le temps. Il avait retrouvé son bonheur. Alors, il traînait la machine partout avec lui. Sur ces entrefaites, Linda et Will s’engagent dans des discussions houleuses qui finissent en queue de poisson.

Linda : « C’est ta faute si on en arrive là. Je ne suis plus heureuse. Le bonheur, tu sais ce que c’est ? »

Et Will de répondre : « Cours chercher le bonheur ».

Un peu plus tard, quand Will va chercher son gosse à l’école, il lui demande : « Est-ce que tu es heureux ? » , « Oui, je le suis », répond Christopher. Will lui confie à son retour qu’il l’est aussi. Pourtant, il n’a pas de quoi payer un taxi. Pourtant, sa femme vient de le quitter. Pourtant, sa demande de stage n’est pas encore validée. Pourtant, il est l’homme le plus endetté. Alors, l’endurance est devenue sa seule porte de sortie. Tant qu’il n’aura pas perdu foi, il est certain que les signaux d’espoir qu’il envoie à l’univers opéreront tôt ou tard une transformation magique. Après une journée de garde à vue passée au poste de police pour non-paiement de contraventions, Will aurait pu décider de rentrer chez lui, se reposer, voire se lamenter, culpabiliser, injurier sa destinée, vociférer, s’en prendre à ses parents et amis. Il aurait pu avancer de nombreux arguments solides, irréfutables, probants, pour ne pas se rendre à son premier rendez-vous de recrutement, où il n’était même pas convenu de rémunération s’il venait à être retenu. Mais il a choisi de faire preuve de bon sens et de prendre la décision, non pas la plus simple, mais la plus juste. Alors, il a couru comme un dératé en sortant du commissariat jusqu’au lieu de rendez-vous. Il fallait voir comment il était accoutré. On aurait dit un peintre en bâtiment.

Pour lui, la garde à vue n’a pas été une excuse pour tirer un trait sur son rendez-vous. Il n’avait pas un rendez-vous de recrutement. Si cela avait été le cas, il aurait jugé bon de rester chez lui. Il avait plutôt rendez-vous avec l’histoire, et quand on a rendez-vous avec l’histoire, il faut l’honorer par tous les moyens et l’écrire ou la réécrire. Les rendez-vous avec l’histoire sont les seuls qu’il ne faut jamais rater. Quand on veut quelque chose et que cela nous tient vraiment à cœur, on trouve toujours le moyen de l’avoir. Et quand on n’y arrive pas, c’est que cette chose n’est peut-être pas celle que nous aurions dû convoiter.

La vie, c’est comme aller à la chasse. Quand nous ne savons pas quel gibier nous sommes capables de chasser, soit nous revenons à la maison avec un gibier maigrelet, soit nous revenons les bras ballants. Mais jamais avec un gros gibier. À moins qu’un autre chasseur ne le tue et l’abandonne. Ce qui peut arriver une fois, mais pas à chaque fois. Quand nous y allons avec une idée précise et que nous savons quel animal chasser, nous revenons toujours avec le bon gibier.

La volonté en elle-même n’est qu’une invitation au défi, une force qui nous pousse, nous propulse, mais ne garantit pas le résultat final. Avant qu’elle ne devienne une vérité absolue, elle doit savoir se défaire de diverses critiques, du qu’en-dira-t-on, des regards moqueurs, de la peur qui nous anime et du doute qui nous désarme. Force est de constater que c’est à ce moment précis que nous rebroussons chemin. La chasse ne nous intéresse plus. Nous la remettons à demain. Nous nous convainquons que le soleil est trop chaud, ou que la pluie est trop abondante, que nous n’avons pas assez de flèches dans notre carquois, ou que des braconniers sortis de notre imagination risquent de se pointer aussi, créant ainsi une embuscade. Nous abandonnons lentement et sûrement. Bonne nouvelle, Will a réussi à franchir cette étape.

Le voilà maintenant au beau milieu d’hommes et de femmes tirés à quatre épingles, alors que lui, mal fagoté, s’en fiche éperdument. Il ignore pourquoi les autres sont là, mais il sait pourquoi il l’est. Après tout, il ne doit de comptes à personne. Pour lui, cela suffit amplement pour garder la tête haute. De plus, il tient à être à l’heure.

L’humiliation, quelle que soit sa nature ou sa forme, ne doit pas déstabiliser ceux qui savent pourquoi ils sortent de chez eux chaque matin. Si cela se produit, c’est le prélude à une défaite effroyable. À force de se soucier du regard des autres, on oublie de se regarder soi-même. Le regard qui nous transforme est celui que nous portons sur nous-mêmes. L’humiliation peut être soit un obstacle à la réussite, soit une vengeance contre ses propres doutes et craintes. Le remède contre l’humiliation, c’est la passion.

Tout au long de son récit, Will Smith fait preuve de cette passion pour protéger son rêve. La passion est ce qui nous maintient debout, c’est le moteur de notre esprit. Sans elle, le moteur reste en panne. Il n’est pas anodin qu’Hegel ait affirmé que rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. Une fois dans la salle de réunion, le sourire ayant mille vertus magiques, quels arguments peut-il (Will) avancer pour ne pas être pris pour un fou par les recruteurs ? Comment peut-il dissiper cette honte ? Il décide donc de faire appel à son humour, cette tisane réchauffante qu’on ne doit jamais perdre, quoi qu’il advienne. Will se sert de cet atout puissant pour remporter la précieuse bataille de sa reconnaissance en tant que stagiaire au sein de cette grande firme de courtage.

Ce nouveau défi n’arrive pas sans son lot de destructions et de chaos. Chaque jour, de petits obstacles surgissent sur son chemin. Alors qu’il traverse un fleuve, il se trouve face à un océan. D’une épreuve à l’autre, d’une déception à l’autre, d’un “va-t’en” à un “ne reviens jamais ici”, d’un “tu n’as aucune honte !” à un “tu es trop bête”, Will ne cède pas. Les yeux emplis de douleur, le cœur empreint de terreur, l’esprit en détresse, il lui arrive même de verser des larmes brûlantes.

Honte, humiliation, dégoût. Il doit faire la queue avec son fils Christopher pour éviter de passer la nuit dehors, sous le froid. Le cœur meurtri, mais toujours le sourire jovial. Tout ce qu’il a fait pour joindre les deux bouts : donner son sang pour quelques dollars, dormir à jeun. Ainsi va la vie lorsqu’on cherche refuge sous ses ailes. Chacun porte sa croix à sa manière, quelle que soit la fragilité de ses épaules face au poids du fardeau. Cependant, à force de jeter son filet à l’eau, un beau jour, les mailles de celui-ci ont failli rompre, tant Will avait recueilli une quantité impressionnante de fruits de mer.

Nos larmes ne brûlent pas uniquement d’amertume, il y a aussi des larmes de joie. Et à ce moment-là, il pleure comme si ses larmes pouvaient fendre une pierre. Il n’en revenait pas. Tous les efforts qu’il avait consentis avaient fini par porter leurs fruits. Dans l’incapacité de contenir sa joie, il serre son fils fort dans ses bras. Christopher est resté fidèle dans ses moments les plus sombres, les plus pathétiques et les plus déshonorants. Will n’a pas eu besoin de remonter le temps. Il est resté en bons termes avec le présent. Ainsi, le futur lui a ouvert ses portes. Dans ses propres mots, il confesse avoir trouvé le bonheur. De nouveaux possibles et de nouvelles voies se sont ainsi ouverts.

Effectivement, la plus grande découverte que l’on puisse faire, c’est de réaliser quelque chose dont on pensait être incapable. La vie n’a pas d’autre sens que cela. Le bonheur n’a pas d’autre source que cela. La vie n’a pas d’autre sens que de rétablir la vérité. L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est d’abord soi-même. Quelle que soit la définition que l’on donne au bonheur, il faut veiller à ce qu’il y ait une harmonie entre le “moi” et tout ce qui l’entoure.

De nos jours, que le bonheur soit abstrait ou concret, nous sommes tous condamnés à être heureux. Cette injonction pourrait susciter un certain mimétisme, détournant ainsi le mot de son sens. Tout le monde cherche à être beau, riche, en bonne santé, intelligent, épanoui, accompli, avec une longue vie. Se réveiller le matin en pleine forme, s’endormir le ventre plein le soir, embrasser un être cher, s’offrir une boisson rafraîchissante, dormir à la belle étoile, avoir des yeux pour contempler les étoiles brillant dans le ciel, recevoir sa paie à la fin du mois, trouver une place assise dans le bus ou le train, échanger un sourire avec une belle femme ou un bel homme dans la rue, voilà autant de situations qui réchauffent le cœur, mais que nous n’apprécions pas toujours à leur juste valeur. Le monde évolue rapidement et il ne faut pas rester à la traîne. Il nous impose ses règles et nous fait subir ses caprices. Il va à une vitesse exponentielle. C’est un monde où le lendemain est incertain, où il ne faut rien tenir pour acquis, où il faut être vigilant jour et nuit pour préserver sa pitance, où la loi du plus fort prévaut. Face à ces pièges tendus , ce sont nos vertus qui en souffrent, ce sont elles que nous sacrifions en premier.

La vie est belle, et c’est sur cette pensée inspirante du sage malien Amadou Hampâté Bâ que nous concluons :

“Même s’il n’est qu’une petite mare de brousse, chacun d’entre nous peut essayer de maintenir pure et paisible l’eau de son âme, afin que le soleil puisse s’y mirer tout entier.”

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