La beauté sauvera le monde. Fedor DostoÏevski

Benin is sixty

Image illustrant la page Benin in Sixty d' ArtmanTimes
Les participants semblent engagés dans une activité synchronisée, peut-être une danse ou une performance.

« Indépendance cha -cha tozuwi ye !

Oh kimpwanza cha-cha tubakidi !

Oh table ronde cha -cha ba gagner o !

Oh lipanda cha-cha tozuwi ye ! »

Quand Joseph Kabassela Tshamala, alias Grand Kallé, chantait cette chanson, certains d’entre nous n’étaient pas encore nés.
Cette chanson a été composée à Bruxelles en 1960, au moment où se tenait la table ronde, une réunion entre les autorités belges et les leaders indépendantistes congolais. Une histoire oubliée, n’est-ce pas un futur perdu ? Dans l’euphorie des indépendances gagnées dans les années 60, sur les pas du célèbre tube de l’été “Indépendance cha cha”, la majorité des pays africains, à l’instar du Bénin, ont voulu prendre leur destinée en main. Peu savaient qu’en gravissant une immense colline, on en découvre d’autres encore plus impressionnantes.
Qui ne se souvient pas de cette célèbre photographie de Marc Riboud prise au Ghana en 1960, trois ans après l’indépendance de ce pays ? Cette photographie a fait le tour du monde. On y aperçoit quatre jeunes garçons d’une dizaine d’années, torse nu, questionnant le futur. Ces jeunes garçons doivent avoir aujourd’hui environ 70 ans. La question qu’ils se posaient dans la photographie demeure toujours poignante.
QUI CONNAIT DEMAIN ?
Peut-on même l’imaginer ? Si oui, nous ferions certaines choses différemment, voire nous refuserions de les faire complètement.
Dans leurs yeux, on pouvait lire une certaine crainte, des regards exprimant un avenir hypothéqué. Mais la plupart des nations fraîchement colonisées n’étaient pas de cet avis.
La colonisation leur a donné des ailes. Il ne leur restait plus qu’une chose : voler au-dessus des monts et des vallées, se percher où ils le souhaitaient. Bien que ce ne fût pas une tâche facile, ils ont essayé à maintes reprises de se réinventer, de se comporter en bons élèves, de faire preuve d’assiduité, se privant de récréation afin d’assimiler les théories qui leur étaient inculquées, bon gré, mal gré.
Soixante années se sont écoulées et rien n’a vraiment changé. La pratique reste difficile et les défis se dressent à chaque tournant.
QUI CONNAIT DEMAIN ? Personne. L’avenir sera toujours incertain. Et lorsqu’il s’agit de l’avenir de l’Afrique, les opinions sont mitigées entre ceux qui voient le verre à moitié vide et ceux qui le voient à moitié plein. Cette incertitude se traduit souvent par des positions et des projections tranchées, reposant les unes sur l’image d’un continent éprouvé, et les autres sur l’image d’un continent qui renaît de ses cendres, tel un phénix. Une chose est sûre, petit à petit, l’oiseau fait son nid. Il est donc de notre espoir de vivre suffisamment longtemps pour voir cet idéal devenir réalité. Rappelons-nous que le 1er août 1960, le Bénin a accédé à son indépendance. Quoi que l’on dise, quoi que l’on pense, ce fut un grand saut qui a propulsé le pays dans une nouvelle ère. “Le Bénin est un bijou serti des plus belles pierres, avec pour écrin sa devise. Que l’on vive en Antarctique ou au Tadjikistan, tant qu’on est Béninois.e, la chaleur de ce pays habite toujours nos imaginaires”, nous a confié récemment une Béninoise vivant au Québec. C’est précisément pour cette raison que notre média a décidé, dans le cadre de la célébration des soixante ans d’indépendance de ce pays, d’immortaliser à sa manière ce cap franchi.

D’où la naissance du projet BENIN IS SIXTY. Toute nation, quand elle interroge bien sa mémoire, a forcément une histoire à raconter. Il en est de même pour le Bénin. Parmi tant d’autres, celle que nous essayons de raconter ici (puisqu’elle paraît à la base plus complexe), jette tout son dévolu sur une époque sombre de l’histoire du pays.

Remontons donc le temps pour découvrir ce qu’il a de si précieux à nous révéler. Du 19 au 28 février 1990, Cotonou, la capitale économique du Bénin, a accueilli la conférence nationale des forces vives de la nation.

Les citoyens de ce pays, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, se sont tous mobilisés pour un nouveau projet de société. Cette conférence demeure l’un des événements les plus marquants de l’histoire politique du pays, étant le fer de lance d’une démocratie digne de ce nom. Tous les pays africains avaient les yeux rivés sur cette conférence, car son succès ou son échec pouvait ouvrir ou briser des perspectives.

Mais comment en sont-ils arrivés là ? Avaient-ils finalement eu assez de la manière dont les choses étaient gérées ?

Quoi qu’il en soit, il est indéniable que le pays était profondément secoué par de multiples tensions, tant économiques que politiques, au point de sombrer dans un chaos total. Ainsi, les filles et les fils du pays ont décidé de se réunir expressément pour régler leurs différends au sein de la famille. Pour certains, le linge était tellement sale qu’ils craignaient qu’il ne retrouve jamais sa blancheur d’antan. Comment peut-on définir un projet de société digne de ce nom lorsque la société elle-même est si divisée ?

Des enseignants désemparés ont abandonné la craie pour descendre dans la rue. Des travailleurs indignés ont dénoncé les dirigeants et remis en question le système de gouvernance. Définir un projet de société digne de ce nom n’était en aucun cas un défi facile à relever. Il fallait compter sur la clémence de certains, l’indulgence d’autres, et les prières de tous.

Dans une lettre ouverte intitulée “Lettre ouverte à mes frères béninois” publiée dans le journal Jeune Afrique N°1521 du 26 février 1990, Édouard Kodjovi, homme politique togolais, n’a pu résister à l’envie de témoigner son soutien moral à ce pays voisin dont le destin semblait pendre à un fil.

« Comment résister à la tentation de vous écrire au moment où vous allez entamer une étape décisive dans la vie de votre nation… ?» Écrit-il. « Il faudra que triomphent la raison, la lucidité, la prudence, le courage, mais il faudra aussi de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace… » Conclut-il. Les Béninois, quant à eux, ne se posaient plus autant de questions. Ils
voulaient simplement avancer. Comme ils le disent si bien en langue
vernaculaire : “égblé mankou” (ça passe ou ça casse). Mais par où
commencer pour que le serpent ne se morde pas la queue ? Comment
traverser la rivière sans provoquer la colère de ses eaux tranquilles ?
Un comité national préparatoire fut rapidement formé et présidé par Me.
Robert Dossou, ancien ministre du Plan. Il avait la lourde
responsabilité, avec d’autres combattants de la première heure tels qu’Ousmane Batoko et Pancrace Brathier, de rallier toutes les parties opposantes à une même cause : Celle de fermer les yeux sur tout ce qui divise et de les rouvrir sur tout ce qui unit.

Le jour J, chacun s’est paré de ses plus beaux atours. Enfin, pas tous !
Le colonel à la retraite Maurice Kouandete et Monseigneur Isidore De
Souza, qui a préféré revêtir une chasuble tissée de fils d’or, se sont
démarqués. L’Hôtel Aledjo a généreusement prêté ses locaux pour cette
rencontre exceptionnelle. La délégation gouvernementale était attendue
de pied ferme
.

 

La dégaine altière avec laquelle le président de la République, Mathieu Kérékou, fit son entrée en disait déjà long sur l’atmosphère qui règnerait dans la salle. Dans sa tête, il se disait certainement : « égblé mankou ! ». Tout le monde était présent. Ils avaient tous donné rendez-vous à l’histoire malgré cette crainte ou cette peur de voir les choses prendre une autre tournure. Un peu comme le cheval qui tire le char, le ministre Robert Dossou s’est saisi du pupitre pour prononcer son allocution de bienvenue. S’en est suivi du discours d’ouverture de Kékéréké (l’un des nombreux surnoms du président M.K) en présence d’éminentes personnalités, dont les anciens présidents qu’on ne présente plus. Le corps diplomatique accrédité surveillait tout comme le lait sur le feu. Des journalistes étaient venus d’un peu partout pour couvrir cet événement. Rapidement, des tensions se sont élevées au début des travaux. On entendait des protestations çà et là.

En plein milieu des discussions, Justin Ahomadegbé ne se sentait plus dans son assiette au point d’en avoir sa claque.

Que s’était-il passé ?

Kouandete venait de lancer un pavé dans la mare, et l’assemblée se mit à glousser. « Kouandete a menacé de faire un coup d’État. S’il le dit, il le fera », s’insurgea Ahomadegbé avec véhémence. « Je ne veux pas voir du sang couler dans ce pays », riposta à son tour Hubert Maga. 

« Il y a certainement des gens qui veulent que cette conférence échoue. Je ne les y aiderai pas », renchérit Émile Derlin Zinsou, afin de dissuader le colonel d’un éventuel plan belliqueux. Le message lancé par les anciens présidents était clair et valait son pesant d’or. Les débats ont été houleux, les échanges passionnés. Chacun avait son mot à dire, sa vision du futur à partager. Les participants ont exprimé leurs frustrations, leurs espoirs et leurs attentes. Les voix se sont élevées pour réclamer la démocratie, la transparence et la justice. Les délégués ont travaillé ardemment pour élaborer une nouvelle constitution et poser les bases d’une gouvernance plus juste et équitable. C’était une véritable communion nationale, une occasion unique de réconcilier les divergences et de forger un avenir commun.

Pour certains protagonistes, qu’ils soient ou non des enfants du bon Dieu, il n’était point question que qui que ce soit les prenne pour des canards sauvages. Alors, les ripostes furent farouches. Entre diatribes et joutes verbales, le président Mathieu Kérékou s’est de nouveau retrouvé sur la sellette. Mais l’homme n’a jamais été du genre à se laisser faire. Il se défendit bec et ongles. Les carottes étaient-elles cuites ? Monseigneur De Souza toucha rapidement du bois. Plus que quiconque, il avait voix au chapitre. Mais avec l’ambiance qui régnait dans la salle, il ne fallait pas vider son sac n’importe comment, même s’il jouissait d’un statut de prélat. Il fallait le faire avec tact. Le professeur Paulin Hountondji, connu pour son éloquence, n’y alla pas avec le dos de la cuillère pour dire ses quatre vérités au président et mener un baroud d’honneur. Mais c’était de bonne guerre, et ces débats d’idées ont porté leurs fruits. Ce qui unissait les forces vives était bien au-delà de ce qui les divisait. Était-ce le Bénin ? Était-ce l’amour infini de la patrie ?

Après maintes échauffourées, la déclaration de souveraineté de la conférence fut proclamée, au grand ravissement de toute l’assemblée réunie et à l’apaisement de Monseigneur De Souza qui, loin de douter de la bonne foi des forces armées, prit tout le plaisir du monde pour les confronter de nouveau à leurs paroles. L’une des décisions tant attendues était l’élection du 1er ministre de la Transition pour le renouveau démocratique. Il fallait une tête bien faite. Un érudit, un akôwé (intellectuel). La liste des candidats était bien étoffée. On pouvait reconnaître des têtes pensantes comme : Le professeur Albert Tévoèdjrè, Me Bertin Borna, professeur Théodore Holo, Me Adrien Houngbédji, Séverin Adjovi, M. Paraiso, professeur Ahanhanzo Glèlè et Lolo Chidiak, pour ne citer que ceux-là. Mais la fortune en avait décidé autrement. Le chef du futur gouvernement de transition ne sera personne d’autre que Nicéphore Dieudonné Soglo, qui fut élu sans tambour ni trompette. Serait-il à la hauteur de la tâche ? Personne ne voulut vraiment lui mettre des bâtons dans les roues. Au contraire, il fut encouragé dans ses nouvelles fonctions. Après avoir pris quelques minutes pour mesurer l’ampleur de la tâche, il décida de rester optimiste. Pour lui, le jeu en valait la chandelle. Le linge sale a fini par être lavé, au grand bonheur du cercle familial. Quant à elles, les forces armées ont incontestablement joué un rôle salutaire dans le dénouement de cette crise. Quand l’on se souvient du courage indomptable d’un certain Martin Dohou Azonhiho, l’on se demande par quel miracle il n’y a pas eu mort d’homme. Plus qu’exemplaires, Pancrace Brathier, en son temps ministre de la Sécurité publique, le colonel Vincent Guezodje, en son temps, chef d’étatmajor des forces armées, loin de mettre de l’huile sur le feu, ont su calmer les ardeurs en faisant preuve de discernement.

Les femmes, ces braves dames, n’ont pas fait que montrer patte blanche. Elles ont fait montre d’un courage exceptionnel et inébranlable, en participant aux débats, tout en représentant valablement la gent féminine.

À l’issue des travaux de la conférence, qui a duré quelques jours, un rapport général en est sorti. Qui d’autre pour assurer le rôle de rapporteur, si ce n’est le professeur Albert Tévoèdjrè ? 

À la clôture de la conférence, une nouvelle ère s’ouvrait pour le Bénin. Les participants étaient animés par l’espoir d’un changement profond et durable. Ils avaient jeté les bases d’une démocratie émergente, d’un État de droit et d’une gouvernance transparente. Le Bénin était sur la voie de la transformation.

La conférence nationale des forces vives de la nation est restée gravée dans les mémoires comme un moment crucial de l’histoire du pays. Elle a marqué le début d’une nouvelle ère de démocratie et a ouvert la voie à des réformes politiques et sociales majeures. Elle a également inspiré d’autres pays africains à entreprendre des processus similaires de dialogue national et de transition démocratique.

Ainsi, le Bénin a réussi à transcender ses divisions et à se reconstruire sur des valeurs de justice, de liberté et de démocratie. La route n’a pas été facile, et des défis subsistent, mais le pays a prouvé sa capacité à surmonter les obstacles et à avancer vers un avenir meilleur.

Le récit de cette conférence nationale des forces vives de la nation rappelle l’importance du dialogue, de l’unité et de l’engagement citoyen pour forger le destin d’un pays. Il est un témoignage de la résilience du peuple béninois et de sa détermination à construire un avenir meilleur pour les générations futures.

Depuis lors, le pays et son peuple sont inséparables, travaillant sans relâche pour se hisser au niveau des nations puissantes et prospères. Lors des dernières élections présidentielles, le peuple béninois a renouvelé sa confiance à Son Excellence Monsieur Patrice Guillaume Athanase TALON.

Si les attentes des citoyens sont immenses, nous souhaitons à Monsieur Patrice Guillaume Athanase TALON un bon quinquennat, lui qui a fait du développement du Bénin sa plus grande priorité. Comme l’Abbé Alphonse QUENUM le disait : « Le devoir du semeur est d’assurer à ce qui est semé le plus de chance possible de germination et de croissance, par tous les moyens dont il dispose ». Si tel est le devoir du semeur, alors le nôtre est de frapper de temps en temps à la porte de l’histoire pour voir si le patrimoine y est bien conservé. A l’occasion de la commémoration des soixante ans d’indépendance de ce pays, ARTMAN Times a interrogé quelques Béninois et Béninoises pour qu’ils lui confient, en deux petites phrases, ce que ce pays représente pour eux et quelles sont leurs ambitions pour son avenir. Cet exercice s’est déroulé dans une bonne ambiance.

Voilà ci-dessous un aperçu :

Pour clôturer, voici quelques proverbes du Bénin, qui à coup sûr vous raviront.

Merci et à bientôt pour d’autres histoires à raconter.

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