La beauté sauvera le monde. Fedor DostoÏevski

Albert Camus : L’étranger (Première partie)

Première page du livre "L'Étranger avec autographe d'Albert Camus à Patricia Blake"
L'Étranger avec autographe d'Albert Camus à Patricia Blake, Paris, Gallimard 1942 - Les choix de Pierre Leroy, livres et manuscrits / Crédit photo : ActuaLitté CC BY-SA 2.0 DEED

Certains éditeurs disent savoir si un livre promet d’être intéressant juste en lisant l’incipit. Les critiques littéraires s’amusent même à faire le classement des plus belles premières phrases de la littérature. En voici quelques-unes et leurs auteurs :

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure » Du côté de Shawn (1913), Marcel Proust

« Ça a débuté comme ça » Voyage au bout de la nuit (1932), Louis-Ferdinand Céline

« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide » Aurélien (1944), Louis Aragon.

« Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves » Germinal (1885), Emile Zola

« Je ne sais pas trop par où commencer » les Ames grises (2003), Philippe Claudel

« C’est une de ces jolies et charmantes filles nées, comme par erreur du destin, dans une famille d’employés », La parure (1884), Guy de Maupassant

« Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut » Jacques le fataliste (1778), Denis Diderot.

« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : ‘’je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté’’ ». L’amant (1984), Marguerite Duras

La liste est longue, sans oublier bien sûr l’incipit de l’étranger :

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas »

En revanche, ces premiers mots ne m’ont pas particulièrement choqué comme ce fut le cas chez la majorité de ceux qui ont lu le livre.

Généralement quand je saisis un livre, avant toute chose, je lis la première et la dernière phrase. Et en ce qui concerne l’Etranger, c’était la dernière phrase qui m’a bouleversé.

Le personnage principal, Meursault disait, je cite :

« Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine » 

L’image obscène que m’a renvoyé cette phrase, était comparable à celle du Christ quand il fut conduit à Golgotha portant une croix sur ses épaules et une couronne d’épines sur la tête pour être exécuté par se persécuteurs (qui poussaient aussi des cris de haine).

Mais qui est donc ce Meursault ?

Meursault est le protagoniste de l’histoire et le récit est raconté du point de vue de ce personnage. Le roman explore les thèmes de l’absurdité de la vie, de l’aliénation, de la moralité et de la responsabilité individuelle. Meursault est présenté comme un homme indifférent et détaché des conventions sociales, ce qui le conduit à des conflits avec la société qui l’entoure.

Je voudrais tout d’abord afin de pouvoir bien étayer mon argumentaire, il me parait nécessaire voire opportun de parler un tant soit peu du maître de cette œuvre.

Albert Camus, le penseur de l’absurde. Pour faire court, de quoi est-il donc le nom ?

L’homme fut l’un des plus grands écrivains de son temps. Il a quasiment exploré toutes les formes de l’expression littéraire. Il est tantôt journaliste, tantôt romancier, tantôt essayiste, tantôt homme de théâtre, tantôt polémiste et critique.

Albert Camus naît le 7 novembre 1913 à Mordou, de Lucien Camus et de Catherine Sintès.

Mais Albert grandira en l’absence de son père. Ce dernier le quitta trop tôt des suites d’une blessure mortelle survenue lors de la bataille de la Marne où il fut mobilisé dans le premier régiment de zouaves.

C’est donc à Catherine sa maman que revint la lourde tâche d’élever Albert et son frère Lucien ainsi que sa sœur Etienne.

Quand il raconte cette époque de sa vie une place importante est réservée à un certain Louis Germain, qui fut jadis son instituteur, celui-là même qui prit conscience des qualités intellectuelles du jeune garçon et le propulsa dans d’autres dimensions supérieures.

Il gardera contact avec lui et lui dédiera même le discours de Suède prononcé après avoir reçu le prix Nobel de la littérature.

Plus tard il fit la connaissance de Khâgne André Belamich, Claude de Fréminville, Max-Pol Fouchet, Paul Mathieu et Jean Grenier. Des amitiés qui ont forgé son destin avant d’épouser en 1934 Simone Hié, un mariage qui n’a pas fait long feu.

Cette rupture douloureuse ne va pas empêcher le jeune homme de rejoindre en octobre 1934 le parti communiste où il fit ses premiers pas dans la politique avant d’être exclu du parti en 1937.

À la suite de la déclaration de guerre en septembre 1939, le journal Alger Républicain dirigé par Pascal Pia, et que rejoignit Albert en 1938, n’avait plus les moyens d’exercer.

Désœuvré, il n’eut pas le choix que de rejoindre Paris où il intégra en 1940 la rédaction de Paris-Soir par le truchement de son ami Pascal Pia. L’homme alla ainsi d’une aventure à une autre, d’une expérience à une autre, laissant un héritage romanesque très riche.

Il se remariera à Francine Faure, le 3 décembre 1940.

Le 10 décembre 1957, Albert reçoit le prix Nobel de la littérature. Il meurt trois ans plus tard dans un accident de voiture aux côtés de son fidèle compagnon Michel Gallimard.

A son actif : l’étranger, La peste, La chute, l’homme révolté, le mythe de Sisyphe, etc…

Revenons donc à Meursault.

Meursault est un personnage complexe et fascinant qui est souvent perçu comme détaché et indifférent aux normes sociales et aux émotions.

Sa mère ayant un certain âge, il la place dans une maison de retraite à Maringo, loin de là où il vit. Et ne lui rend pas souvent visite.

Un beau matin, il apprend sa mort. Il demande quelques jours à son patron pour s’y rendre.

Là-bas, on va lui raconter des tas de choses sur sa mère dont il s’étonne. Dans le roman, Meursault est présenté comme quelqu’un qui ne se conforme pas aux attentes de la société. Il est indifférent à la mort de sa mère et ne ressent pas de remords pour ses actions. Lorsqu’il commet un meurtre, il ne montre aucun signe de culpabilité ou de regret, ce qui choque les autres personnages du livre et les amène à le juger.

L’histoire de Meursault soulève des questions sur la nature de l’existence humaine, la responsabilité individuelle et l’absurdité de la vie. Le personnage de Meursault est devenu emblématique de l’existentialisme, un courant philosophique qui met l’accent sur la liberté individuelle, la responsabilité personnelle et l’absence de sens intrinsèque dans l’univers. Par exemple, il ne montre pas de tristesse ostensible lors de l’enterrement de sa mère et ne se conforme pas aux conventions de comportement attendues.

De même, il entretient des relations superficielles et dépourvues de sentiments profonds avec les autres personnages, y compris sa petite amie Marie. J’ai eu l’occasion d’échanger à propos de l’Etranger avec des amis. Ce que je retiens, c’est que la perception de Meursault comme étant indifférent est un point de vue subjectif, et il y a différentes interprétations possibles du personnage. Certains dans mon cercle d’amis voient son comportement comme une forme de détachement philosophique ou une rébellion contre les normes sociales oppressives, tandis que d’autres le considèrent simplement comme dépourvu d’empathie.

La complexité de Meursault en tant que personnage est sujette à interprétation et a été largement débattue par les critiques littéraires.

Pour soutenir mon argumentaire je partage quelques passages avec vous :

  1. Au sujet de la mort de sa mère : “Et puis j’ai pensé que j’aurais pu chercher à me tirer d’affaire et je me suis rassuré en me disant qu’elle était bien là-bas, dans ce caveau, en compagnie d’un époux qui avait eu pour elle, tout au moins, le dévouement de ne pas mourir trop tôt.” (Chapitre 1)
  2. Sur les relations avec les autres : “Elle m’a demandé si je l’aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire, mais qu’il me semblait que non.” (Chapitre 4)
  3. Lors du procès, décrivant son comportement pendant le meurtre : “Et puis, sans que j’aie eu le temps de rien dire, il s’est redressé d’un bond et m’a crié : “Salopard !” J’ai senti le soleil sur ma tête. C’était presque agréable. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.” (Chapitre 5)

Ces passages donnent un aperçu du comportement de Meursault. Cependant, il est essentiel de lire le roman dans son intégralité pour saisir pleinement la complexité et les différentes interprétations du personnage de Meursault.

Mais a-t-il raison de se comporter ainsi dans un monde qui s’impose à nous ?

La question de savoir si Meursault a raison de se comporter de la manière dont il le fait est un débat philosophique et moral qui divise les lecteurs et les critiques.

Certains soutiennent que Meursault est un héros existentialiste qui embrasse la liberté et la vérité en rejetant les conventions sociales et les attentes émotionnelles. Selon cette perspective, il a raison de vivre sa vie sans se soumettre aux pressions et aux attentes de la société, même si cela signifie paraître détaché ou indifférent.

D’autres critiques estiment que Meursault est dépourvu d’empathie et moralement problématique. Ils soutiennent que son comportement indifférent et apathique est une forme de désengagement éthique qui le rend moralement condamnable.

La vision de Meursault et de son comportement est également influencée par le contexte philosophique et existentiel dans lequel le roman a été écrit. Albert Camus était un philosophe existentialiste, et le roman explore des questions profondes sur l’absurdité de la vie, la recherche de sens et la responsabilité individuelle.

En fin de compte, l’appréciation du comportement de Meursault est subjective et peut varier d’une personne à l’autre en fonction de leurs propres valeurs, croyances et interprétations du roman. Il est important de noter que le roman “L’Étranger” invite à la réflexion et suscite souvent des discussions sur la nature de la moralité, de la liberté et du sens de la vie.

Et ce n’est pas le sacré qui fera fléchir Meursault. Si la religion est l’opium du peuple comme le pense Karl Marx, cela n’est point le cas chez Meursault.

Dans le roman “L’Étranger” d’Albert Camus, le personnage de Meursault entretient un rapport complexe avec le sacré, ou plutôt avec l’absence de sacré. L’absence de spiritualité et de croyances religieuses est une caractéristique centrale de la vision du monde de Meursault.

Meursault est présenté comme un homme qui vit dans l’instant présent, qui est ancré dans la réalité tangible et immédiate. Il ne semble pas se préoccuper des questions métaphysiques ou de l’existence d’un ordre supérieur. Son attitude est souvent qualifiée d’existentialiste, rejetant l’idée d’un sens ou d’une finalité transcendante dans l’univers.

Cela se reflète dans sa relation avec la religion et les rituels religieux. Lors des funérailles de sa mère, il ne manifeste pas de ferveur ou de respect religieux. Il reste détaché des prières et des cérémonies, se contentant d’observer les gestes des autres sans y trouver de signification profonde.

L’absence de rapport avec le sacré de Meursault se retrouve également dans son attitude envers la mort. Il considère la mort comme un événement naturel et inévitable, sans attribuer de signification transcendante à cette expérience. Sa réaction apathique et détachée face à la mort et à la violence renforce l’idée d’une vision du monde dénuée de sacré.

Ainsi, Meursault représente une vision nihiliste et existentialiste qui nie l’existence d’une dimension spirituelle ou transcendantale dans l’existence humaine. Son rapport au sacré est caractérisé par une indifférence et une absence de préoccupation pour les questions religieuses ou métaphysiques.

Lorsque l’aumônier visite Meursault en prison, il tente de lui apporter un réconfort spirituel et de lui inculquer des croyances religieuses. L’aumônier cherche à convaincre Meursault d’accepter l’idée d’un ordre divin, de la repentance et de la rédemption.

Cependant, Meursault rejette catégoriquement ces idées. Pour lui, la perspective religieuse de l’aumônier est dénuée de sens et de valeur. Il considère que les croyances religieuses et les promesses d’une vie après la mort sont des constructions arbitraires, éloignées de la réalité concrète de l’existence humaine.

L’opposition de Meursault aux idées de l’aumônier peut être vue comme une manifestation de sa révolte contre les normes sociales, les conventions et les systèmes de croyance qui cherchent à imposer un sens ou une signification transcendante à la vie. Il rejette l’idée d’une vérité absolue ou d’une moralité dictée par une entité divine.

Dans cette perspective, l’opposition de Meursault aux idées de l’aumônier est en accord avec sa vision existentialiste, qui met l’accent sur la liberté individuelle et la responsabilité personnelle face à l’absurdité de la vie. Pour Meursault, l’existence n’a pas de sens préétabli, et il refuse d’embrasser des croyances ou des valeurs qui ne trouvent pas leur fondement dans sa propre expérience et sa propre réalité.

Il est important de noter que cette interprétation est basée sur la compréhension du personnage de Meursault dans le contexte du roman et des idées philosophiques d’Albert Camus.

Ainsi se termine la première partie de mon commentaire de texte. Je reviendrai dans la deuxième sur le rapport qu’entretient le soleil avec Meursault au point de le pousser à commettre le meurtre de sa vie.

Je parlerai aussi d’un personnage qui a suscité de ma part non seulement une admiration poussée, mais aussi une sympathie spontanée et aussi d’autres points que je n’ai pas forcément évoqués ici.

A très vite…

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